Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Fleur des Sables

Fleur des Sables

Ecriture - Poésie - Carnets de voyages


7 numéros

Publié par Lelie des Sables sur 16 Novembre 2006, 16:31pm

Catégories : #Fleur des Sables

Les 7 numéros sont sortis. Les miens, ceux que je joue depuis des années. Les miens, enfin ceux qui ont du sens, un anniversaire, une date singulière, un souvenir, tous ces faits marqués d’un chiffre pour laisser une place dans la mémoire (- ce sens m’échappe aujourd’hui -).

 

La maison du bord de l’eau a près de deux siècles, les bâtiments de pierres blondes tombent en cascade jusqu’au canal souvent tapissé de lentilles vertes couvrant les eaux dormantes. La venelle caillouteuse et pentue mène au chemin de halage. Elle est fraîche été comme hiver et les fleurs ne sont pas les mêmes que sur les autres terrasses en plein soleil, entourées de petits murets qui dégagent encore plus de chaleur. En plein mois d’août, au zénith, des chats viennent trouver un peu d’ombre, étalés sur les pierres plates

Sur l’île en face de la vieille maison, on entend à la tombée du jour les chevreuils, les grenouilles, les chouettes allant de leur vol lourd d’un peuplier à l’autre.

En avril, les iris jaunes bordent les canaux. Il éclate de couleurs mon marais.

 

J’alterne les jours tranquilles dans la maison du marais avec une activité parisienne dans un bel appartement en cœur de ville. Perché au dernier étage, grandes baies vitrées, large vue sur les toits et le clocher. Des fleurs dans les vases, des objets de tous pays m’emmènent par delà les mers et les frontières. Ils se côtoient sans se faire la guerre, venus du monde entier se réunir sur étagères, cheminée, table…

Ces lieux ont en commun beaucoup de chaleur et d’intimité.

 

J’ai tout et toujours quelque chose manque.

Je cherche, crois trouver, mais ce n’est pas ça. Alors, je joue, rêvant d’être très riche pour être libre, avoir des maisons spacieuses, des bains maures, des parcs, des ateliers, à Paris, à Lyon, ailleurs.

 

J’oublie d’être dans mon présent, égarée trop loin dans un avenir imaginaire ou engluée dans un passé obsolète.

 

Parfois, je me dis que s’accrocher à tout ce matérialisme me rend esclave.

Je contente envies et caprices éphémères. D’autres arrivent encore, toujours. Eternelle insatisfaction. Je suis jeune, je veux des macarons Ladurée au chocolat, le blouson Lola, les boucles d’oreilles l’Or Bleu.

Le mois prochain je veux partir en balnéo profiter de cette cure de raisin, les bains, la détente, prendre soin de mon corps.

A moins que je ne préfère cet austère château en Ecosse au bord d’un loch. Grande forteresse de granit gris, battue par les vents et la pluie. Courir la lande, retrouver la chaleur d’un feu dans l’âtre avec un thé accompagné de cake à la pâte dorée.

Ou l’Orient express jusqu’à Venise en traversant la Suisse…

 

Mes 7 numéros sont sortis, les chiffres qui s’alignent en dessous me fascinent.

Je suis dehors derrière la vitre du bar-tabac des Lilas, une odeur de friture rance flotte dans l’air humide du matin.

1 820 670 euros, c’est ça.

Je n’arrive pas à calculer en francs, c’est tellement énorme, cela dépasse de ma tête.

J’ai froid, mes pieds sont nus. Je n’ai plus de talons à mes chaussures, les semelles sont arrachées, trouées, je sens la pluie glacée anesthésier mes pieds.

 

 

 

Un bout de pain traîne par terre, gonflé d’eau, je le ramasse c’est peut-être le seul que je trouverais aujourd’hui.

Un autobus passe sur le boulevard et m’éclabousse. Ca ne se remarquera même pas sur ces haillons que je porte.

Je regarde encore les numéros, les chiffres…

Ce sont les miens, qui les a pris ? a choisi les mêmes que moi ?

 

Cela fait des années que je ne les joue plus.

Je n’ai que des poches percées qui ne retiendraient pas même quelques centimes.

Plus rien, je suis réduite à néant. Je ne sais pas comment c’est arrivé, je ne me rappelle plus : c’est loin.

J’avance courbée, le visage ridé, les yeux ternes bleu délavé virés au gris sale. Plus de couleurs. La vie - est-ce le mot ? - en noir et blanc.

Ce soir, je dormirai près du grand réverbère là-bas, j’ai l’impression que sa lumière m’apporte un peu de chaleur. Je n’ai plus peur des gens, c’est moi maintenant qui les effraie, ils changent de trottoir, font un écart.

Je ne sais plus quel âge j’ai, mais je suis vieille, sans parents, sans enfants, sans ami, sans Lui.

 

Je n’ai plus de souvenirs, aucun avenir.

J’attends d’être emportée.

 

Je jouais toujours le numéro 13, un porte-bonheur.

 

Valérie-Anne W.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents